04/09/2013
sans titre
De son ordinateur, Loannis exhuma un très intéressant article sur un « incident » qui avait eut lieu a Paris dans une station de métro quelques mois auparavant. L'article était rédigé par le mort de la rue Panormo, et était accompagné de trois photographies, apparemment prisent a la hâtes, d'une mauvaise qualité mais suffisamment bien cadrées pour que quelque chose du jeu hollographique de la peinture de Shalima transparaisse. Les photos étaient prise sans hors-cadre et soulevèrent, mais avec une intensité très amoindrie un certain malaise en Loannis, semblable a celui qu'il avait mainte et mainte fois rencontré au cours de sa carrière dans la police, lorsque pour les besoins de ses enquêtes il devait scruter attentivement les photos de scènes de crimes et d'autopsies comme seules témoignages des événements passés dont ils ne restaient plus d'autre trace. Loannis qui avait une longue expérience de ces choses la, savait comment les lire, comment les faire parler. Instinctivement, il suivit le penchant le plus froid et le plus cruel de l'observation minutieuse, celle qui ne tient pas compte de l'aspect immédiatement effroyable et inhumain d'une scène sanglante, et qui se coule dans les traits de la scène pour en démêler le chaos et lui extorquer ses aveux. Il fit plusieurs agrandissements de l'image première sur des points qui lui semblait particulièrement significatifs et, chose étrange, tous semblaient rejouer dans l'infiniment petit et l'infiniment grand, la scène qu'il avait sous les yeux. Comme si toute la diversité du réel n'avait été qu'une question de changement de dimension et de perspective. « C'est un cachot, une caverne », pensa t-il. Il prolongea son expérience, et agrandit aussi des parties prises au hasard et qui n'avaient rien de saillants. Et toutes rejouaient la scène primitive avec une infinité de variantes dimensionnelles relatives au cadrage et au point de vue, ou parfois, en s'inversant verticalement, en se retournant horizontalement sur elle-même, a l'endroit a l'envers, l'oeil du spectateur et l'art consommé de l'artiste touchaient a une commune limite, a une vision totale, éclatée, étalé, une intuition intellectuelle du réel ou l'objet et le sujet de la perception finissaient par se confondre. Mais la scène primaire elle-même ne représentait rien, elle était ubique et nusquam, et exercée un pouvoir de fascination extraordinaire, quelque chose de l'ordre de l'attraction et de la répulsion réunit, qui faisait du spectateur un être pris entre le réel et l'irréalité, une pate sans lieu, une flamme qui en s'éclairant mettait le feu a tout ce qu'elle éclairait et a la fois s'identifier a ce qu'elle mettait en lumière, de telle sorte que le réel restait toujours ambiguë, border line, puisque ce que la lumière mettait en lumière pouvait aussi bien constituer la matière de la lumière. Une forme sanglante dans la partie inférieure de la photo lui fit penser a l'hibiscus de la robe de Silia, et au dîner auquel Mandizabal l'avait convier le soir même chez lui. L'équilibre sensuelle de cette femme le déconcertait en permanence ; « Nada, nada, nada, plutôt les bras de la nuit obscure » Loannis se leva pour se préparer ; il ouvrit grand le store du tableau féerique emballé au fond de sa chambre noire, et par le trumeau de la baie vitrée l'apres midi d'un faune se déversa comme un fond de charogneuse liqueur. Il se servit un cognac et laissa le cadavérique travail des lumières bloquer sa messagerie. Il s'allongea sur le lit le dos enfoncé dans une cascade de soie, vert canard, et fut submergé par le bonheur passé ; le visages de sa femme, celui de ses enfants, s'entrelacèrent avec le ressouvenir des scènes de crimes particulièrement sordides, d'où jaillissait subitement les rires des collègues pendant les stages, et les blagues, souvent lourdes mais cocasses, au vietnamien après les autopsies, les « nems au chinois » farcis d'un doigts récupéré dans les poubelles stérilisées ; la lecture des contrats chez le notaire avec le sourire confiant d'Eva, la tondeuse et le jardin, le barbecue, la bière en pack, le jazz entre les étoiles et les bougies, les coups de petards dans les bouteilles et les troncs d'arbres, les fleurs coupées du vase offert par la belle-mère, les valises, les pleurs les rires, les tracas, les chaussettes a café, les larmes, le tiroir des allumettes, le souffre rouge, le regard d'Eva la bouche mousseuse de pâte dentifrice et les fleurs de pissenlits éclatés dans les courants d'airs ; et puis le divorce, le filet pale du maquereaux dans son jus d'aromate lorsqu'elle le lui a dit de but en blanc. Et la douleurs revint, intact, elle le retraversa comme la toute première fois, comme un souffle sur le revers d'une maison qui n'a pas de mur a l'arrière, et par ou passe une longue traînée de glace de la comète psyché, roulant sur son coeur écrasé comme sur une tique pleine de sang, un cafards au QI-KO. Et puis la vraie sensation de la chute, quand l'esprit est entièrement refoulé et qu'on a plus de force ni de langue, pour supposer que le bien puisse encore faire partie du réel ou le chargeur plein dans l'arme de service persuade que de toute façon il n'était déjà que peu présent dans le monde.
Loannis s'endormit ; il se rêva sous l'apparence d'un Pythagore qui voit des chiffres briller la nuit a la place des étoiles. Avec une fine chaîne d'or, il se mesure et trouve que la coudée correspond aux chiffres étincelants. Mais sa peau soudainement spongieuse, boit d'un trait toutes les ténèbres de la nuit et assèche d'un coup le ciel qui se révèle un immense globe de pierre ponce caverneuse comme un placenta fossile et nervuré qui remonte jusque dans les veines du savant qui n'est plus qu'un vieillard au cheveux blanc dans le corps d'un enfant cisaillant sournoisement, un taillis rouge sang dans l'humus des végétations synaptiques, d'une sève qui l'inonde, d'un ciment frais, ou le chérubin se noie, s'enfonce dans des cloques poisseuses, se débat dans un glaire vitreux et meurt dans de gros bouillons d'où il réapparaît soudain comme un indéfinissable faune pris dans une masse de verre sans vie, au moment ou Loannis s'éveilla de son mauvais sommeil.
Loannis était trempé de sueur jusqu'au sternum. Quand il était dans cet état, il ne pouvait plus penser ; la moindre idée le rendait fou, au lieu de l'éclairer, elle l'embrouiller et il confondait le ciel et la terre, et les noyait dans un limon ferreux plus amer que le fiel ; il lui semblait que son crane explosait, que son corps se dévorait, qu'il était envahit, possédé qu'il n'était qu'un fantôme luttant contre le soleil qui lui lançait des pierres ; sa propre pensée le lapidait, le perçait comme une cible face au lanceur de couteau, il se sentait soulevé et abîmé dans de grands mouvements tectoniques de conscience dont les plans ne se rejoignaient pas sans que les rouages d'ordinaire si lisses, si insensibles de la réflexion, n'éventrent son coeur, et en fit surgir quelque incompréhensible bourrelet, tout plissé, hors norme, depuis les affres ou elle valdinguait et se crashait comme une merde contre la vitre fermé de son esprit ; ces crises avaient exactement commencé au moment de son divorce ; lui le vieux policier blindé qui en avait vu de toutes les couleurs, était aussi fragile qu'Achille pourvu que l'on connaisse le secret de sa faiblesse. Il ôta sa chemise enfila un maillot, pris une serviette et sortit de l'hôtel pour ne pas immédiatement se supprimer.
En aval de l'hôtel, une coulée de granite ocre serpentait sous une pinède qui descendait jusqu'au lac, s'ajourait rarement, mais prenait au passage les résidents, qui empruntaient son sentier couvert de parfum jusqu'à la lisière de la plage ou la pinéde s'arrêtait brusquement, bifurquait et reprenait son ascension vers les mamelons avoisinants. A cet endroit de la cote le lac s'engouffrait dans une gorge de roche au fond sablonneux et blanc comme un néon ou les rares résidents de l'hôtel s'entendaient sur de lisse galet d'acier et prenaient des bains de soleil qui semblait l'oeil héliodore d'une rascasse stellaire espionnant de près, un poulpe de chicorée prune recroquevillé sous un béryl. Il se jeta a l'eau comme un aveugle dans les bouillons de la fontaine de Béthesda. Et se mit a nager.
En rentrant de la plage, a nouveau il offrait un visage plus souriant. Il croisa le jardinier, un tuyau d'arrosage dans une main, l'autre sur la hanche, qui aspergeait d'une bruine fine le chemin de gravier qui faisait le tour de l'hôtel ; et par lequel on pouvait soit sortir du coté de la falaise et de la pinède, soit rejoindre la grille jusqu'à la route ; a travers un nuage de perles, Pétros leva sa main libre pour saluer discrètement Loannis, qui souleva légèrement son chapeau de paille usée et a bord courts. Coincé dans ce magma originaire et bouillonnant d'ombres fraîches et de bouffée de pin, la salle de bain, ultra moderne, aseptisée comme une salle d'opération, ressemblait a un temple dédié au culte chirurgical du corps ultra précis, et offrait un étrange contraste avec le reste du paysage hors du temps. Loannis se doucha rapidement et s'habilla pour le dîner chez Mendizabal. A l'heure prévue, un taxi le déposa chez son supérieur.
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