27/01/2014
sans titre 5
Il pleut et il sait que si la voiture s'arrête, elle ne redémarrera pas; il sait que s'il cale au feu rouge, c'est fini, le moteur se noiera et il devra descendre pousser son véhicule sur le bas coté; il ne veut pas arriver en retard a son travail; il se le dit, le pense, l'établit dans sa tête comme un fait déjà accomplit, aussi inéluctable que l'est la certitude qu'il se fera, un jour, renvoyer de son poste; ce qu'il ne sait pas dans l'un et l'autre cas, ce qu'il ne sait pas encore, c'est la raison pour laquelle cela arrivera; mais il pense trop, se déconcentre en pensant a ceux qui ignorent les raisons de ce qu'ils font et qui n'ont pas le droit de se déconcentrer de leur tache; il reconnaît l'usine de biscuit sur sa droite, et le parfum merveilleux de viennoiserie qui en émane sans arrêt, de jour comme de nuit, par tous les temps; il pense a un ami qui s'est fait viré d'un autre boulot, parce qu'il n'arrivait plus a venir bosser sans connaître les raisons des changements d'horaire permanent; il avait finit par développer une sorte de paranoïa et était désormais sous traitement; et juste derrière l'usine, il voit que ça bouchonne sur le périphérique, maintenant il en est sur, il arrivera en retard au boulot; alors il patine, gagne du temps, fait ronfler le moteur, descend les pentes en roue libre, tout en freinant et en accélérant a la fois, mais l'arrêt dans la cohue est inévitable, il renonce, lève le pieds, le moteur halète une dernière fois puis s'éteint définitivement; immédiatement la voiture disparaît sous une trombe d'eau.
Au lycée on a joint un collègue pour savoir s'il pouvait venir le remplacer; il dit qu'il fera ce qu'il peut pour arriver au plus vite et ainsi minimiser les hoquets de l'institution a la mécanique d'apparence parfaitement huilée; en arrivant, il se gare sous le tulipiers dénudé en cette saison qui s'élance comme un os décharné au dessus du parking clairsemé et interdit aux chiens; il prends ses affaires, sa serviette en cuir et un sac de couchage jeté négligemment sur la banquette arrière; jette un coup d'oeil a travers la vitre en se relevant, et voit un noir tourbillon d'orage qui roule entre les bâtiments ou il croise presque aussitôt, le direction de l'élevage dont le sourire toujours affable le rends nerveux et méfiant; il s'engouffre dans l'atelier du A. Les couloirs sont vides, mais il y a du bruit dans les étages, il grimpe les escaliers rapidement, et au niveau des dortoirs il est accueillit par la surprise d'un collègue; il se rassure, souffle un peu, échange quelque mots sans importance, tout en s'installant dans sa chambre au bout du couloir, ou enfin seul un instant, il savoure le devoir accomplit par la pensée presque a l'heure dans les fonctions d'un autre. Parce que lui aussi c'était dit qu'il serait a l'heure qu'il se rejoindrait dans cette pensée malgré tous les obstacle du temps, toutes ces failles qui en rompent la divine continuité; il faut dire qu'il n'est pas pensant seulement deux heures par semaine, ou a mi temps, mais que comme disait un auteur dont il a oublié le nom, sa pensée accompagne toutes ses représentations, même si de certaines il ne veut se défaire de sorte qu'au lieu d'être entièrement transparent et libre aux appels indéterminés de la destinée, il accumule des voiles qui font autant d'ombres déformant ses rendez vous avec lui-même au bout du compte, au-delà du temps.
Les essuie glace tournent a plein régime et balaient difficilement la masse d'eau qui s'abat sur la tôle du véhicule avec fracas; il allume l'auto radio pour couvrir le ronflement de la pluie qui martelle la carrosserie bleue de sa boite a savon; des qu'il a eut le bahut au bout du fil, il a eut envie de profiter de sa journée, d'être chez lui, libre de ses gestes, de sa pensée, d'être sans avenir, sans perspective, de plonger avec ravissement dans une immense projection sans borne sans motifs étriqué, sans interdiction, d'y être et de s'oublier dans l'apnée profonde de la suspension du temps, dans la lecture d'un livre qui le ferait vibrer; mais il est coincé ailleurs et il faut d'abord qu'il rentre chez lui sans véhicule; et finalement trouve ça tout aussi intéressant quoique plus contraint. Il le prend comme une sorte de jeûne, d'appétit pour le festin. Il sort du véhicule après avoir mit les feux de détresse, il pousse le véhicule sur la bande d'arrêt d'urgence en s'appuyant sur le châssis porte ouverte; la musique rivalise avec la circulation qui reprend derrière son dos; une voiture s'arrête c'est sa soeur qui vient le chercher; elle le ramène pendant qu'il lui explique ce qu'il va faire, ce qu'il doit faire parce que personne ne le fera pour lui, qu'il doit appeler un dépanneur parce qu'il croit que sa voiture ne redémarrera pas.
Après le repas au réfectoire c'est l'heure libre pour les jeunes adultes; il surveille d'un oeil les jeux de cartes et la télévision, pendant que l'autre est déjà plongé dans la lecture d'un auteur ironique a souhait qu'il tient plié dans sa main autour d'un doigt, quand il doit s'adresser a quelqu'un et le voir en face; et si on lui demandait pourquoi il est là ce soir, si c'est pour surveiller les gamins ou pour se faire un shoot littéraire d'un livre extraordinaire dans d'étranges conditions, il ne saurait que répondre; être franc est la dernière chose qu'il ait envie d'être face a toute autre autorité que l'écrit inspiré, et il éprouve cette rébellion moins comme une révolte a caractère politique, que comme un besoin, une nécessité très profonde de sa nature, qui tel une bouche d'oiselet au fond d'un nid piaille pour sa pitance, son besoin irrépressible de le lire et le relire écrit par un bon auteur non le sens dernier de la vie, mais la compassion qui lui rend la sienne transparente; une douche solitaire crépite, le bruit de fond retombe, le calme et le silence suivent les pas qui envahissent l'espace; il allume sa lampe, pose le livre ouvert dans la lumière, dispose une chaise autour de l'ampoule de bureau; il s'assoit et la cellule lui semble de taille parfaite, c'est a dire que les lettres imprimées sont de la même noirceur que le ciel malgré l'électricité.
Ce qu'il lit est l'histoire secrète de l'humanité, la vérité, la réalité comme elle est faite, et il en éprouve une joie qu'il ne peut exprimer; chaque page en dévoile un peu plus de la vie réelle de cette bête monstrueuse qu'on appelle un homme; des torches en plein jour en jaillissent, sortent des tonneaux antiques qu'on débarque comme esclaves dans des ports fabuleux depuis des générations; c'est l'histoire d'un secret qui fait l'histoire c'est l'histoire tragique d'un personnage qui n'a rien a voir avec le héros des mauvais film; ça ronfle dans le couloir, il fait un tour, écoute aux portes s'en revient a son livre, mais s'attarde a la fenêtre un instant, puis deux, puis se penche, la pluie n'a pas cessée de tomber mais un parapet sur le toits du bâtiment l'abrite.
01:27 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.