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03/01/2016

Solitude de Góngora

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max ernst

 

 

 

Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre […]. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. […] C’est propre, la tragédie. Dans la tragédie on est tranquille […]. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, pas à gémir, non, pas à se plaindre, à gueuler à pleine voix [...]

Anouilh

 


Par l’Océan d’abord absorbé puis vomi, couvert d’algues et d’écumes, près d’un récif couronné d’un nid de joncs secs et de plumes tièdes, il trouva refuge là où l’aigle avait fait son nid. Il embrasse le sable et offre au rocher, en ex-voto, le petit fragment du bateau qui l’a amené jusqu’à la plage : car même les rochers sont sensibles aux manifestations de gratitude. Donc à peine eut-il vu à l’horizon (qui faisait apparaître avec une confuse irrégularité les montagnes comme des archipels d’eau et l’onde marine comme des hautes montagnes) s’atténuer la lumière du soleil que le malheureux étranger revêtit les habits qu’il avait tirés des eaux furieuses, grimpant à la nuit tombante entre les épines, il commença à escalader — plus perturbé que fourbu — le roc au sommet duquel serait difficilement parvenu envolant l’oiseau intrépide et léger. Après avoir surmonté les difficultés de l’escalade et atteint le sommet qui est comme l’arbitre impartial et le mur inexpugnable qui sépare la mer toujours bruyante et la silencieuse campagne, le jeune homme, descendant l’autre versant, se dirige avec plus d’assurance vers la petite lueur tremblante d’une flamme indistincte, lanterne, semble-t-il, d’une cabane, qui dans ce golfe incertain peuplé d’ombres, est placée sur l’emplacement abrité annonçant le port. En remerciant les chevriers pour l’hébergement, le pèlerin quitte l’auberge et sort en compagnie de l’un d’entre eux qui l’emmène à un endroit où se trouve, à quelques pas du sentier, un pic paisible qui domine la campagne, aujourd’hui galerie et jadis théâtre où les faunes de ces montagnes célébraient leurs fêtes. Le pèlerin y arriva et, son pied indécis obéissant à son regard qui découvrait une telle étendue de terre, il ne put faire un pas de plus et s’immobilisa sur un lentisque qui faisant une espèce de balcon vert à l’agréable roche escarpée. Si le terrain qu’il contemple déploie sous ses yeux une grande surface, plus grand encore est ce que le soleil offre confusément dans les brumes qu’il dissipe peu à peu et ce que la distance ne permet pas de distinguer. L’admiration du jeune homme ne s’exprime que par son silence et elle suit, éblouie(dans son aveuglement), un fleuve rutilant qui descend des montagnes, et dont le cours, sinueux mais abondant et rapide, traverse toute l’étendue des champs, en les dominant utilement (au contraire de l’orateur dont le discours tyrannise inutilement). Caché dans le creux d’un chêne vert, le jeune homme contemplait la beauté et écoutait les cadences harmonieuses des filles de la montagne. L’étranger errant sortit du chêne creux dans lequel il était resté pour regarder, avant même que le moins fatigué des montagnards eût fini de s’étendre sur la basquine de fine écarlate de sa belle bien aimée [...] Le jeune, s’approchant de la lumière, les chiens vigilants de la cabane, aboyant pour le faire fuir, l’attirent vers l’auberge, et il voit alors que la lumière qui de loin lui avait paru petite est de près un feu si grand qu’il s’y consume un chêne, qui se défait en cendres qui ressemblent aux papillons qu’attire la lumière.Le jeune homme arriva enfin et fut salué avec simplicité et sans cérémonie par les chevriers qui formaient un cercle autour du feu. Cabane bienheureuse, ni l’Ambition, avide de vent, ni l’[Envie] qui se nourrit d’aspics égyptiens, ni ce sphinx bavard [orgueil], qui dissimulé au début sous un visage humain est ensuite fauve mortel qui détourne aujourd’hui Narcisse des fontaines où il se mirait et lui fait préférer les échos flatteurs ; Le jeune homme descendait de la montagne admirant à part soi le chevrier,(en qui, lui semblait-il, Pan dieu des bergers se dissimulait transformé en Mars ou Mars,dieu de la guerre, à demi changé en Pan) Lequel [chevrier] avec art avait commencé à parler savamment, quand son oreille fit obstacle à ses pas, doucement accaparée par un mélodieux instrument à cordes dont s’accompagnait une montagnarde, appuyée à un arbre planté près d’un ruisseau, rauque à force de se plaindre et muet alors, pour ne pas l’interrompre en son chant, quand il n’arrêtait pas son cours pour pouvoir l’écouter. Une autre montagnarde était avec elle, en train de se laver le visage avec une de ses belles mains dont la blancheur égalait celle du visage mais était beaucoup plus pure que le cristal de l’eau. Une autre passait les plus belles roses et les plus beaux lys de la rive verdoyante du ruisseau à ses cheveux, ressemblant par sa beauté à une aurore pleine de rayons, o pour la variété des couleurs, à un soleil plein de fleurs.Une autre qui s’était ingénieusement fabriqué des castagnettes avec de l’ardoise noire, les faisait claquer entre ses doigts blancs avec tant d’habileté qu’elle eût même donné envie de danser aux rochers. Au sonde ce rude et bruyant instrument, une autre avec des mouvements lascifs mais des yeux honnêtes, appelait en dansant celles qui étaient dans la prairie Alors un vieux à l’air grave, politicien de la montagne, avec les yeux pleins de larmes et de tendresse, parce qu’il avait reconnu dans son habit les indices du naufrage (car le soleil, bien qu’ayant séché, ses vêtements n’avait pu effacer les taches d’un bleu profond que la mer laissera toujours) parla de cette façon : [...] [épilogue] Le montagnard interrompit à ce point son prolixe discours noyant le reste dans des soupirs et des larmes plus violents que le vent qui fit couler son bien et plus abondants que les flots qui engloutirent son fils.

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 le jardin de France

max ernst

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