21/01/2014
sans titre 3
Joëlle avait toujours beaucoup de mal a digérer les événements forts et traumatisants qui par leur densité inhabituelle ne se laissent pas volontiers dissoudre dans les signifiants déjà assimilés, mais coupent court au roman de la vie, volatilisent, pulvérisent et abrègent l'intention qui s'y développe par une unique conclusion qui la contredit en entier; Joëlle était d'une nature a la fois rêveuse et sanguine; elle supportait très bien l'idée d'être en désaccord avec certaines opinions généralement admises, puisqu'en tant qu'artiste elle avait choisit de nager a contre courant; et cependant, son seuil de tolérance était atteint dés qu'elle faisait face a ce qui contredisait toute son intention, lorsqu'elle sentait que c'était au principe même de toute l'intégrité de son être que quelque chose la menaçait; elle se mettait alors en colère, croyant se protéger; se protégeait effectivement mais malheureusement pas pour son bien; car mieux eut valu qu'elle s'effondre dans la commune misère ou sous l'effet de la colère elle était capable de plonger son adversaire; elle avait alors du mal avec le dernier stade de l'anéantissement, le stade ultime de la dislocation de la psyché qui apporte pourtant la paix en désagrégeant tout ces contenus trop objectivement fondé en un savoir auquel elle aussi ne voulait renoncer en dernier ressort, comme en témoignait sa vindicte, car même si elle le reprochait a Daniel très explicitement, elle était incapable de se rendre compte de la projection qui la manipulait ou elle reproduisait en elle ce qu'elle reprochait aux autres; plus d'une fois elle avait approché ce noeud, plus d'une fois elle s'était ainsi mise en colère pour des riens, des broutilles insaisissables et insignifiantes dont elle identifiait la raison chez les autres mais qui en elle transformait sa vision en savoir et lui interdisait l'union d'égal a égal dans la compassion du même mal; ainsi lorsque chez elle, elle reprochait a son mari d'être trop routinier, ou a l'instituteur de ses enfants d'être un bon fonctionnaire des sciences de l'éducation qu'elle vomissait pour les mêmes raisons; cela la faisait passer pour quelqu'un de lunatique et d'intolérant, alors qu'en réalité elle était une nature très profonde , très angoissée et pleine d'esprit qui butait au seul problème existentiel qui veille la peine de se coller une heure de philosophie dans sa vie; car c'était la proximité même du paradoxe qui lui troublait la vue; son esprit très éthéré percevait presque instinctivement les formations de nodules malignes de fausse sagesse chez les autres mais était incapable de transformer son propre savoir en ignorance pour ne pas faire elle-même ce qu'elle concevait défigurant chez les autres; mais pour accéder a cette plus haute pensée, celle ou l'on a toujours tort devant dieu il fallait qu'elle relise entièrement sa vie au fil d'une intention dont l'histoire n'était pas signifier en elle, ce qui revenait a accomplir l'acte intérieur le plus difficile, celui de voir l'histoire de sa vie lui échapper pour enfin adhérer pleinement a l'intention d'amour a laquelle elle voulait tout abandonner; et c'est sous ce jour là qu'a la fin de son dernier cours cet après midi là, la question de son existence lui apparue parce qu'elle avait été suffisamment minée par l'altercation avec Daniel pour que d'une réparation elle espéra autre chose que la reconduite du court habituel de sa vie, mais une transformation radicale et inattendue; depuis le repas sa mémoire ne cessait de se déformer comme le corps des boas capable d'avaler une antilope entière et de prendre la forme de leur repas; elle s'était sentie se dédoubler tout au long de l'après midi ou littéralement elle avait marcher a coté de ses pompes; dédoublée et déchirée entre une intention de sens qu'elle voulait être la même que celle qui avait toujours animé et organisé toute sa vie, et sa volonté qui depuis l'instant de la colère semblait désolidarisée de cette intention et n'être qu'une velléité vide de sens qui l'angoissait; quand elle sortit de cours elle traversa les différentes salles réservées au travail manuel ou les détenus gagnaient de maigres salaires en échange de menues travaux; certains préparaient des gaines électriques qu'ils enroulaient ensuite sur elle-même et qui serait vendu dans différents magasins de matériaux de construction; d'autres assemblaient au marteau de petites pièces de bois qui formaient des nids qu'on retrouverait dans les magasins animaliers; c'est en voyant un détenu enfoncer un clou qui réunissait deux pièces de bois qu'elle comprit; pour passer a travers le « trou », le clou de l'intention devait avoir une densité bien plus haute que la matière transpercée et que la densité la plus haute celle qui transpercerait toutes les parties du temps, était paradoxalement plus fine, tenue, réduite a un presque rien qu'elle refuser d'atteindre tant que l'intention d'amour en elle ne transcenderait pas toute colère et toute menace, tant que percer ne serait pas identique a presser; illumination subite qu'elle recue des gestes des ouvriers qu'elle percevait differement en fonction de son trouble, et qui ne manqua pas d'occasionner un certain soulagement dans le fonctionnement de tout son appareil mental; et aussitôt elle résolue d'aller rendre visite a Daniel; la douleur de l'obsessionnelle idée fixe qui résonnait en elle depuis la fin du repas, cessa soudain ces répétitions, purement fictive de la scène qui embrouillait son schéma mental et la propulsait dans une impasse symbolique contre laquelle elle n'avait cessé de buter; sitôt la décision prise, il lui sembla que la tumeur était plongée dans de l'acide et que le bégaiement du yo-yo trouvait enfin une formulation unifiée dans un plan supérieur; les secondes qui jusqu'alors lui avait paru interminables comme des heures de ressassements stériles et douloureux, reprirent leur fluidité dans l'écoulement, et la journée ou le temps semblait faire du place se transforma en une victoire complète sur le temps, comme si son intention, amendée, corrigée avait franchit le seuil de son propre labyrinthe et respirait a nouveau librement; elle se sentie infiniment légére et son attention qui avait été sans cesse détourné par cet appel d'air, ce trou symbolique dans le motif du tapis, se sutura comme une blessure dans les coups de marteau, dont elle s'éloigna a mesure que disparaissait aussi son impression angoissée de vivre dédoublée, ni tout a fait a ce qu'elle faisait, ni tout a fait a rejouer la scène traumatique; pour son esprit explosé en mille morceaux autonomes, réparer était devenu inévitable a moins de devenir insensible et de se suicider spirituellement; et pour réparer il lui fallait remonter le cours du temps qui s'était enraillé, remettre le temps dans ses gonds en revenant sur ses pas jusqu'au carrefour ou tout s'était joué; Joëlle finit donc par se sentir coupable, même si elle avait intellectuellement raison d'un point de vue purement abstrait; c'est pour cela que le soleil ce jour la ne se coucha pas sur son inimitié; et, en fin d'après midi, quand la geôle résonnait sourdement de l'acide des flow binaires et confus de la haine, elle retourna voir Daniel avant qu'il ne quitte l'établissement ; elle le trouva au fond de l'aile sud dans son « cabinet » jouxtant le secteur de l'infirmerie et de la blanchisserie; c'était une toute petite pièce peinte en bleue azur avec une fenêtre griffé de barreaux, un bureau et deux chaises en contre-plaquées très simple : « je ne pourrais rien avaler ce soir si je t'ai blessé », dit elle a Daniel en entrant dans le bureau.
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