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23/01/2014

sans titre 4

Nanj Kerfu n'avait pas toujours été a la cloche; il avait été prof de musique dans une autre vie, une vie insituable entre les bornes de l'inconnu qu'il frappait parfois d'un maillet de feutre blanc pour transir la chaire close de ses élèves nouveaux nés, nés sourds et muets comme tout homme, et leur percer des oreilles, des sensations d'écoute, de siège du corps pris de vibration face au frisson saisissant des premiers sons émis par les premières syllabes de la parole du monde, leur créer de vraies ouïes derrière les apparences qui n'étaient qu'un trou dans le sablier de surface obstrué de mensonges; tout avait commencé pour lui dans une autre vie, ou tout était musique et les instruments dissimulés; il organisait aux toilettes du lycée des cantates en canon de robinetterie avec percussion de flaques et passoires d'intensité réglée, ou pensait il les enfants absorberaient l'intelligence de leurs corps contenu dans l'eau soulevée par leurs mouvements, vibrations réinscries dans la dimension devenue visible, sensible, d'une distorsion éthérée qui embrassait plus que le cosmos et pinçait la corde de leur intimité depuis l'au-dela de l'horizon illimité; « la musique est absolument partout, elle organise le monde, révele l'apéiron, répétait il sans arrêt, en bon disciple de Pythagore, le tout est de savoir danser, car on n'invente pas la musique, on la cherche on la descelle en épousant le mouvement des corps enraciné dans les confins stellaire, en ressuscitant leur suspension intime, en amplifiant l'ondoiement de la substance par le support de nos ligaments... on se met l'âme au diapason du vent» et beaucoup le comprenaient; c'était vraiment un drôle de bonhomme ce prof, pas méchant pour deux sous, même si ces manières radicalement atypiques avaient toujours au premier abords quelque chose d'apparemment violent; comme quand, aussi parfois, il mettait du pain dans ses poches et des oiseaux dans sa sacoche, qu'il libérait en classe pour apprendre la musique aux enfants; mais les volatiles chiaient sur les timbales tibétaine, les guitares, les partitions et le piano droit, ce qui déplut aux dames de service qui s'en plaignirent : « ... et en plus, Monsieur le Directeur, le gond fait pleurer les enfants!! » Nanj eut beau expliquer que les fientes ne le dérangeait nullement, qu'elles pouvaient même faire partie intégrante des modulations harmoniques, il n'y eut rien a faire, l'explication ne passa pas, pas plus que celle du gond censé masser « tout le corps astral et pas seulement l'épiderme, de la pointe des cheveux a la moelle  épinière réorganisée» ; rien n'y fit; les autorités restèrent sourdes au dimensions réelles de l'épaisseur d'un corps en conscience et proclamèrent, ou plutôt réaffirmèrent que la vraie sensibilité se limitait a l'épiderme et que la foudre qui tirait des pleurs aux enfants n'était pas une voie d'enseignement; ce fut un vrai scandale qui ébranla toute l'ossature intellectuelle de la hiérarchie de l'établissement; quand a nouveau, il fut convoqué Nanj tenta d'expliquer au directeur qu'il avait lui aussi le devoir de s'élever a la connaissance du sens par son non-savoir, ce qui en règle générale plus imperturbable qu'une loi physique, avait pour conséquence de piquer au vif l'orgueil du vaurien qui s'enflammait alors d'une colère noire en hurlant..; » Sortez! Sortez de mon bureau...pauvre fou!...tout en n'omettant pas d'ajouter a ces ordres, les sempiternelles menaces de ceux qui mordent quand on leur ôte l'ombre qu'ils mâchonnent au fond de leur antre comme s'il s'agissait de la proie...je vous prévient que ça ne se passera pas comme ça.!.. »; Nanj tentait alors une dernière explication pour remettre ce monde fou a l'endroit«  vous ne me comprenez pas...vous êtes la lumière de cet établissement Monsieur le directeur...il y mettait les formes sans aucune flagornerie....vous êtes le clou de la toile d'araignée, le roi philosophe de cet établissement, ou plutôt vous devriez l'être, et  montrer l'exemple dont vous parlez tant...» « foutez moi le camps! Déguerpissez sac a vin!! » « ...mais peut-être êtes vous encore trop sensuel, Monsieur le directeur, continuait Nanj sans malice, toujours bien intentionné, surpris mais sans trouble..... trop intellectuel encore pour exister sans retenu, on dirait que la masse de l'univers, la totalité de la souffrance humaine ne vous a pas encore écrasé, réduit a la plus profonde primitivité de la moelle. du temps.. »; bien évidement, ce fut les dames de service qui surveillèrent de près l'application de toutes ces règles, en écoutant derrière la porte si le caractère cruelle de l'énergumène enseignant avait été discipliné ou non pendant les cours; après l'avoir convoqué, on lui interdit toutes ces  pratiques, ces improvisations de bambou après la pluie quand la boue parle et fugue comme un sifflement éclaireur de courant d'air; on lui recommanda chaudement de s'en tenir a une musique de papier, et on exigea qu'il n'enseigne que des choses inutiles, beaucoup d'érudition, peu de raisonnement, et surtout aucune conclusion, pas de bruit, surtout pas de bruit, s'en tenir exclusivement a l'apprentissage des notes sans filiation et sans matière, mais en toute chose  on l'incita a respecter les moules en vigueur; on fit plus que lui couper le sifflet, on l'extermina; un temps il fit des efforts pour enseigner aux enfants le mutisme des muses, mais ses cours s'aigrirent vite, et dévalèrent insensiblement la pente dans le sens du désenchantement; ses propos devinrent incompréhensibles, il soutenait que la langue était la musique de la musique, que la liberté était insoutenable a la vue des hommes, que les samples techno reflétaient la névrose du chant aveugle et sourd a la progression historique de l'impasse ou s'agglutinaient les hommes; peu a cette époque comprirent sa morosité; bien évidemment, la cruauté se ligua contre lui, la loi du nombre contre la proie facile, la raclure a éliminé par les poissons chat se forma, on se moqua de sa solitude et l'incompréhension devint le seul fruit de son amour passionné pour la musique. Mais Nanj ne pouvait faire ce qu'on exigeait de lui, il se sentait alors plus que mort, trompeur pour ses élèves. Aux médecins du travail qui statuèrent sur son cas disciplinaire, il fournit des explications qui leur restèrent inaudibles, et qui précipitèrent son renvoie; il aurait pu choisir une autre place, se faire oublier quelques temps, puis trouver une autre institution ou faire cours; mais cela ne l'intéressait plus ; il comprenait qu'il était parvenu a un point de rupture avec la société, avec toute une manière d'être homme, qu'aucun compromis ne pouvait plus masquer, alors même qu'il ne s'était jamais sentit aussi sensible a toute la souffrance des êtres peuplant le vide univers; il chu en une faille telle que jouer un rôle dans la société en cachant son abime d'effroi était devenu impossible sans mensonge;  il attribuait paradoxalement cette exclusion et ce changement au progressif perfectionnement de son art et de sa pratique pourtant formellement exigée par les institutions contradictoires de l'État et du ministère de l'incompréhension organisée qui revendiquait la charge de sa pratique tout en se déchargeant des contradictions qui y étaient inhérentes ; Nanj fit donc face a la plus parfaite des incompréhensions, mais la rupture lui fit du bien et il progressa d'un cran dans la révélation de la compréhension de l'incompréhensible, et se sentie plus humain que jamais auparavant. Des lors on le taxa de dandys aristocrate, de fumiste solitaire et on le cassa sans regret.

 

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