22/03/2014
Ils ont abandonné leur premier amour
En avril 1915, alors que je tentais vainement de rejoindre mon régiment d'infanterie, au service duquel j'avais été affecté en qualité de traducteur, au titre de ma double nationalité, spécialement chargé d'analyser les différences de graphies entre les messages manuscrits et codés de l'ennemi en vue d'y déceler le vrai dans les tremblements de la main, et que je m'étais perdu en chemin, dans des paysages bouleversés qu'aucune carte n'inventoriait, et que, comme pour redoubler ma peine, je m'étais bêtement enlisé en un bourbier infect au plus épais d'une constellation végétale de pommes pourries comme la connaissance, que j'arpentais depuis plusieurs jours déjà sans dormir, montant et descendant aux creux des vallons de Montmorency, j'aperçus, entre les tranchées des globes rouge et vert qui formaient de grands sillons de ramures éventrant la terre de champs de bataille en cours de démolition printanier, un cimetière abandonné ou le vent sifflait en permanence par l'affût des pierres tombales renversées et brisées, des litanies incompréhensibles, transcendantes et suggestives comme des prédictions de cartomancie sibylline; la guerre au loin n'était plus qu'une rumeur sonore et ésotérique qui aux rares moments de silence laissait percer les petits cris d'orgasmes des buses tournoyant dans les airs.
Au dessus de moi, de grandes ombres blanche filaient leur cordes de coton et fouettaient les branches du savoir a coup d'imprévisibles et violentes bourrasques qui agitaient de convulsions toute la foret de la cime aux fourrées vacillant dans tous les sens; le soleil dissolue n'était plus qu'une réverbération labyrinthique multipliant de tout cotés les ombres tant est si bien que sans boussole et sans carte, il m'était impossible de discerner le chemin a suivre de ceux d'où je venais; nerveusement, je soupirais de rage dans mon marécage biaisé après une syntaxe inaccessible et inflexible qui aurait put me guider; mais sans repère, exténué, avançant difficilement dans les sous-bois boueux, je fini par trébucher sur une malicieuse racine et par tomber nez a nez avec mon nom gravé sur une tombe quelconque. Mais chose plus étrange encore que de se rencontrer mort était l'impression de toucher l'inaccessible.
Jeté sur les routes par la désillusion des armes, j'avais perdu cent fois mon chemin dans les résolutions d'oeuf pourri de la chaire qui sont a la fois le oui et le non et bifurquent au moindre souffle du malin qui vient et enlève ce qui a été semé dans le coeur, et nous entraîne vers le fond sans fin ou l'esprit déchire l'unité de son paradoxal projet en une fission sans unité, de voies contradictoires, désunies, partagées aussi irréconciliables qu'irréductibles, dilapidant l'éternel trésor du fils prodigue crucifié vainement; sur chaque tombe était gravé le nom d'un des êtres premiers qui m'était cher; parents, femme, enfants, amis de toujours et d'enfance, et sur chacune d'elle, le même corps autour de moi, la même stupéfaction dans le regard incrédule, la même scène répétée en autant de reflets qu'il y avait eut d'impasse dans les chantiers de l'amour; mais le tout ne formait pas un palimpseste illisible, mais l'extra-lucide choeurs des soupirs qui purifient de sa chair la patiente lumière du verbe polissant l'oeuvre de sa révélation; des silhouettes en soliloque sur les tombes s'échappaient de lugubres larmes épaisses comme de la boue qui sont des flammes inversées léchant, tête bêche l'opacité des cécité multiples aux ailes nouées et qui ronge d'amertume les oeuvres encombrées de l'illumination du vide qui voit tout dans l'ultime retour sur soi des mortels qui ont abandonné leur premier amour. Les ombres gémissantes recevaient de la mort le tout premier baiser d'amour, plus saisissant qu'un pieux planté dans le coeur, plus doux que la succion qui rappelle le sang dans le coeur vidé.
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