03/04/2015
Vases communicants
Dans le cadre des vases communicants, le Génitron accueille et remercie Camille Philibert-Rossignol qui entre deux concerts métal milite sur son blog pour un détournement inactuel du quotidien, et nous sert aujourd'hui, un texte bien trempé sur les eaux troubles de l'existence ou l'on ne se baigne jamais deux fois sans se perdre et se retrouver.... comme vous pouvez le faire en visitant son blog : http://camillephi.blogspot.fr/ ...
Photo: Camille philibert-Rossignol
Sans sommation, sans alerte, sans prémonition, dans ta vie de tout le monde, elle a surgi. Après coup, tu l’appelleras malédiction, mais sur le moment, rien n’est venu pour la qualifier. Impossible, même pas quelques syllabes surnageant sous ton crâne pour la désigner. Ce soir là, l’écho d’un claquement de porte qui bat dans le vide et quelque chose t’achève. Un bain brûlant allait détendre ton corps fatigué d’une journée de turbin. Avec de la mousse bleu vif dedans ? Ça peut le faire grave… L’eau mousseuse envahit la baignoire jusqu’à ras, déborde en murmures, tu deviens flaque. Tu épongeras plus tard. Le shampooing tombe et flotte, tu ramasseras après. Une blatte grise cachée derrière l’étagère file derrière le robinet. Tu fermes les yeux. C’est chaud comme la mer des Fidji. Quand ça devient trop tiède, tu cherches le bouchon du siphon et tire. L’eau s’engouffre. Tout le bain se vide dans le trou obscur avec des slurps crissants. L’aspiration agrippe tes pieds. Tu glisses un peu. Les orteils sont coincés. C’est quoi ça ? Dans le tuyau craquant de partout, la peau se resserre, les articulations craquellent, comprimé tu glisses encore, obstrues la canalisation qui t’aveugle. Quelle est cette nuit qui t’engouffre, où vas-tu déboucher ? Ton crâne touche une matière molle, la traverse, de l’eau plein les narines, tu es propulsé vers le haut, de l’eau froide t’enserre jusqu’au torse, de l’air tiède au dessus. Lumière dorée, sable, des bois flottés. Un roulement de tambour s’amplifie, tes tympans qui vibrent, une multitude de minuscules frottements sous la plante des pieds. Détaler à toute berzingue, les genoux en dedans, dans l’haleine salée de la mer, bondir plus loin, oublier quelques secondes les murs d’eau mouvants, tes sauts ralentis par le mouillé sous les pieds. Pouce ! Il faut te réveiller maintenant, c’est pas du jeu. Pouce, le bord de la plage, y arriver, c’est ardu avec toutes ces vagues, la lourde qui vient d’exploser sur ta nuque, la frémissante grisâtre qui se relève au loin, la verdâtre qui fait le dos rond quand tu frissonnes, une lointaine dont tu pressens le poids rien qu’au courant visqueux dans tes reins. Juste le temps de te retourner, les jambes s’entrechoquent, courir dans l’eau, tu ralentis, des fils filandreux frôlent les chevilles, tu plonges tes mains vers le fond pour t’en dépêtrer. D’accord, tu vas renoncer à l’océan, la plage, elle est où ? La longue bande de sable blanc n’est plus visible entre les rouleaux, la chair de poule partout, te remettre à courir en forçant sur les genoux pour sortir du liquide. Tu t’assèches de l’intérieur pendant qu’une barre de vagues surgit de l’horizon, dans une ritournelle agitée de fracas. Cœur enfoncé autant que pieds emballés. Tu glisses, les algues, courir encore vers le sable, tes mains pâles en avant. Tes genoux s’entrechoquent dans l’aspiration du reflux. Dans le fond, ça se rétracte ou vacille, ton estomac gargouille comme une chèvre asthmatique. La limite mousseuse du rivage paraît plus distante que tout à l’heure, mais elle recule pas possible, l’écume qui borde la plage s’enfuit loin à la vitesse d’un cheval au galop. Tu tangues. Dans le grondement, tu cries : Pouce, pas du jeu, tu as avancé, logiquement tu devrait être arrivé sur le sec. Tes doigts de pieds stagnent plantés en griffes dans une base molle. Tes jambes devraient s’élever avec légèreté, et pas engluées comme ça dans les courants. Où te réfugier, où dégager, mais ça n’empêche pas de regarder derrière, vaut mieux prévenir que s’engloutir, tu commences à tourner la tête. Une dizaine de seconde avant de la voir, tu l’entends. Son flasque craquement qui se déplie avec rondeur, parfum de moisi, afflux d’algues poisseuses qui frôlent les mollets. Quelque chose explose dans ta poitrine. Instant tranchant, où déployant ses tonnes d’eau mais sans hâte, elle sculpte sa rondeur, s’épaissit et s’élève, elle arrive. Te surplombe, retombe ! Sa chape épaisse se déverse et te saisit. Vif. Plus un gramme d’oxygène dans tes narines… Sa bouche ouverte, la tienne pareil, écrasement, lampée d’océan, en dedans tes genoux raclent le fond irrégulier, piqûre du sel jusque dans l’œsophage. Toi à genoux et assommé, la bête ne prend pas le temps de t’achever, juste te chopper entre ses murs aquatiques qui en s’effondrant broient ton crâne immédiatement. La planquée des fins fonds, venue d’on ne sait où, elle t’a retrouvé, la malédiction. L’engloutissement replie ses ailes, acéré le bec qui te déchire le ventre. Si jamais tu avais cru pouvoir goûter encore à la plage, être allongé comme d’autres sur une serviette éponge, retarder le moment de se jeter à l’eau car ses remous t’hypnotisent, oublie. La grande broyeuse t’est tombée dessus, tes tripes s’emmêlent. Gorge asséchée sans déglutissement possible. Langue rétractée qui hurle le silence. Plus de souffle. Peau tendue qui craque, déversant des laves suintantes. Épaules qui se hissent pour protéger tes oreilles. Cou s’affaissant parce que l’ancienne peau ne peut pas y croire. Cage thoracique pétrifiée. Cloué net et aucune articulation qui ne bouge. Quelques misérables sursauts, en apnée, tu vomis pendant qu’un liquide piquant coule le long des jambes. La bête ne se suffira pas de ta carcasse. Tremblements suffocations uppercuts te creusent au plexus. Le cœur va basculer. Ça broie dans la poitrine. Que s’arrêtent ses battements. Pourvu le soulagement, une douceur, le miel de l’amnésie. Qui cautériserai la brèche, la crevasse qui n’arrête pas de se creuser le long du tube digestif. Même pas. Le cœur tangue et tient et tout se disloque sauf la viande. Devenu ombre d’un fantôme, tu bascules, personne ne te regardera plus dans les yeux, on ne te serrera plus la main, se contentant de te saluer par des mouvements tremblés. Ta dépouille même ne rassasiera pas les mâchoires, t’as pas assez encore payé avec ta douleur si c’est une conjuration. L’extrême chaos du vivant mène la danse, rien, ah oui, tu n’es rien. Perdition enclenchée. S’extirper de l’insaisissable glaciation n’est pas au programme, tu ne le réaliseras que plus tard. La malédiction danse sa violence aux masques protéiformes. Aspirée par l’imperturbable étreinte, ta chair erre sous ta peau. Le siphon du dedans l’emporte, tes liquides internes refluent, aspirés par l’inlassable essorage. Des microfissures apparaissent dans chacune de tes cellules, une après l'autre en surchauffe, désorientées, elles se vrillent. Hors de la matière siphonnée de la chair, ton esprit se recroqueville, devient un point, un grain, un rien. Et ton corps de sédiments, il survivra bien sans toi. Quand ton œil gauche s’ouvre dans un bouillon, des bulles, un éclat écarlate clignote vers le ciel. Ton coup de talon, réflexe hasardeux, et toi propulsé vers le haut. Sans cesse appuyer sur la plante des pieds pour ne plus être choppé et repartir vers les profondeurs. Lutter contre l’aspiration de chaque reflux. Du bouillon enfin, tu sortiras. Dans les tourbillons flasques, de saut en avant en tremblement, tu t’extirperas des vagues sans ralentir le débit trop rapide dans tes veines. Vers le sol, tu progresseras lentement, rêvant de passer tes mains sur tes paupières pour enlever le mélange de boue et de sable collé aux paupières. Sur fond de rugissements sourds, les tonnes de liquide, lointaines, en train de préparer leurs prochaines charges et brassant dans leurs foulées des coquillages tranchants, des méduses et des canettes vides. Le vent te glacera le ventre, le dos, les épaules et la tête. Une nappe de nuages assombris se déploiera à l’horizon et ça deviendra presque encourageant. Tu flageoleras, trop d’émotions, tant de joie. Enfin du solide, du plein, du stable sous tes pas. Démarche lente, les jambes écartées. Un air vivifiant t’irriguera à nouveau la carcasse. Tu avanceras en chantonnât peut-être. Tu vas retrouver le chemin de chez-toi. Quel soulagement. Tu prendras ta grosse masse, celle qui t’a servi à casser le placo-plâtre de la mezzanine l'été dernier, tu serreras bien fort le manche, tu iras direct à la salle de bain pour exploser la baignoire, la réduire en poussière blanche. Encore faudrait-il, qu’au bout de tes bras, il y reste quelque chose; encore faudrait-il que tes mains, elles, soient toujours là.
00:57 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
ouvrir la bonde de l'imagination...
Écrit par : Dominique Hasselmann | 03/04/2015
... ou crever noyé par la connerie universelle.
Écrit par : jerome | 03/04/2015
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