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01/09/2016

La culture germe aux anfractuosités

 

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hiroyuki doi

 

 

  C'est ma tante, celle qui a perdu l'usage de la langue après quarante ans d'usine ; je l'ai vu, de loin en loin, d'années en années, en y prêtant peut-être pas toute l'attention que j'aurais due, je l'ai vu décliner ; je m’en suis aperçu trop tard, quand elle était déjà a terre et que le goût de vivre l'avais quitté ; elle aussi elle avait été trempé dans les fers de la vie, elle aussi elle avait brillé comme souvent les êtres qui peuplent nos vies brillent par éclairs, par instant ; désormais elle n'était plus qu'une ruine de regret, une faillite vivante qui ne vibrait plus a rien ; j'ai vu, peu a peu, aux réunions de famille son âme s'effacer, l'usine prendre sa place et l'emmurer dans l’abrutissement complet ; elle aimait le pain cuit a mi-croûte, et la moelleuse absence d'architecture de l'air qui prie dans la mie ; je me la rappelle toute jeune qui goûtait a travers le carreau, le sentiment complet de la vie ; son extase pédalait en culottes courtes dans le cercle inférieur de la cours ; elle le regardait et le surveillait avec l'attention qui faisait luire ses yeux ; aucun nuage dans le ciel de sa vie ; j’étais alors tout petit, et j'ai vu, comment l’électricité traverse la gaine, comment nos yeux se recouvrent d’œillères pour amoindrir l'effroi de la vie et mener a la présence un être ; j'ai vu le ciel traverser sa vie et lier en elle tout le feu des lumières en une présence éternelle qui échappera toujours a la description ; je fus saisie par l'intensité de sa contemplation, l'intensité de son amour qui faisait descendre sur terre, pour un instant, le paradis promis; j'ai vu au cours des ans, cette matière moelleuse de la contemplation s’assécher par l’abrutissement de l'usine, ; j'ai vue sa langue muette devant l'indicible se sécher, devenir cassante et se briser enfin en un long renoncement qui ne cesse de ressasser un mal tout aussi indicible que ce ciel de janvier, ou elle portait alors son âme sur elle comme un vêtement d’intérieur dans la chambre bleue des enfants; les rideaux de mousseline tremblent de rires... un seul pourtant lui parle aux tripes tout autrement, et quand elle l'entend, la saveur de ce chant résonne dans son cœur comme une théologie négative ; ce n'est pas une mère artiste, ou bohème, ni une femme savante, ni garçon manqué, c'est ma tante et son indéfinissable manière d'exister ; elle était alors entièrement dans la joie, submergé par un transport cinétique ; et a la moindre écorchure, ses mains écartent le rideau ; elle ne le sait pas, mais c'est l’éternité qu'elle contemple ; elle le sait sans le savoir, a la façon dont elle dira aussi plus tard, de manière tout a fait kantienne, quand, un jour de colère, les déchirement dionysiaque de la couverture éternelle, accoucheront de ce jugement analytique qu'elle regrettera, désirant qu'il ne fut plus qu'un jugement synthétique : tu es mon fils et tu me fais chier... ! Mot si dur qui résonnent comme un rappel dans la vacuité de conscience, une pierre immense posé sur le désert qui appelle a devenir la chair de ce verbe, ou la dureté de l'incarnation dérive de l'en-soi, l'a coté, et module le vécu conscient en connaissance de la vie, du chemin et de la destinée; elle a depuis, perdu le goût de toutes les saveurs ; elle a un gout de cheminée ; désormais elle étouffe dans une sorte d'aigreur ou elle macère continuellement, une sorte d'aigreur hypnotique focalisé sur une présence informulée, insaisissable malgré son châtiment informulable; elle est devenu sa propre asphyxie ; elle a dans sa détresse et sa déréliction la seule trouée possible vers l'infini ; les murs invisibles de sa geôle ont l’épaisseur de tous les cris qui ont poussé en elle et qui ne sont jamais revenu ; en quarante ans de labeur qui lui auront coûté la vie ; son regard s'est absentée et l’étincelle que ces yeux ajoutaient a la lumière de son enfant n'est plus qu'une enveloppe éteinte, terne et consommée.

 

 

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