24/05/2015
Le Flotoir (F. Trocmé)
« Une thèse de Gould est que l’œuvre est sans modèle d’elle-même et pour elle-même, comme s’il s’agissait du déchiffrement d’une écriture dont on ne possède pas l’original, comme s’il fallait écrire sur une écriture. »
« J’appelle silencium le reflux de tous les arguments qui peuvent se présenter à la pensée quand elle quitte la lecture, erre dans l’invisible, se distend et médite. Toute la vague des mots et des jugements se retire. »
"Il y a dans notre âme une mer intérieure, une effrayante et véritable mare tenebrarum où sévissent les étranges tempêtes de l’inarticulé et de l’inexprimable, et ce que nous parvenons à émettre en allume parfois quelque reflet d’étoile dans l’ébullition des vagues sombres. Je me sens avant tout attiré par les gestes inconscients de l’être, qui passent leurs mains lumineuses à travers les créneaux de cette enceinte d’artifice où nous sommes enfermés. Je voudrais étudier tout ce qui est informulé dans une existence, tout ce qui n’a pas d’expression dans la mort ou dans la vie, tout ce qui cherche une voix dans un cœur." »
« je pense à la chaleur que tisse la parole / autour de son noyau le rêve qu’on appelle nous ».
« l’écrire est d’une grand pluralité exactement comme le lire – non seulement l’immensité des textes, des littératures, des expériences de paroles vives, mais aussi l’empan considérable des manières de lire-écouter-réénoncer que chacun nous connaissons à moins qu’on y mette bon ordre, méthode homogénéisante souvent arrimée à une herméneutique plus qu’à une philologie dans nos traditions, et c’est malheureusement ce que les institutions scolaires font au lieu de veiller à ce que les lecteurs y exercent leur liberté, qui n’a rien à voir avec un quelconque subjectivisme, lequel est le pendant d’un autoritarisme (« communauté d’interprétation »), liberté qui consiste à travailler, du moins à augmenter l’attention, à l’empan des manières de lire et aussi d’écrire, et surtout à laisser résonner ce qu’on pourrait appeler le trouble – ce serait l’orientation de toute métamorphose »
http://poezibao.typepad.com/flotoir/2015/05/mare-tenebrarum-2.html
02:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/05/2015
Bohémiens en Voyage (Charles Baudelaire)
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
01:11 | Lien permanent | Commentaires (0)
Der grüne Affe (Blog)
Collé au mur Boris Sobrov tend l'oreille, ce sont des frôlements, des pas, un robinet qu'on tourne, une porte fermée doucement - parfois, sur la cloison, le long passage d'une main. Le crissement de l'anneau sur le plâtre. Un froissement d'étoffes, presque un souffle - une chaleur ; puis une allure nonchalante qui s'éloigne, vers la cuisine, au fond, très loin, des casseroles. Un bruit de chasse d'eau : une personne vit là seule, poussant les portes, les tiroirs – il glisse plus encore à plat, à la limite du possible, sa joue sur le papier peint gris, mal tendu au-dessus de l'oeil droit : il voit d'en bas mal punaisées une vue gaufrée de Venise, « La Repasseuse » à contre-jour.
Boris habite un deux pièces mal dégotté, au fond d'une cour du 9 Rue Briquetterie sans rien de particulier sinon peu de choses, des souvenirs de vacances posés dans l'entrée sous le compteur et soudain comme toujours la cloison qui vibre plein pot sous la musique le tube de l'été OHE OHE CAPITAINES ABANDONNES toute la batterie dans la tronche il est question de capitaines, d'officiers trop tôt devenus vieux abandonnés par leurs équipages et voguant seuls à tout jamais, suivra inévitablement LA ISLA ES BONITA en anglais scandée par Madona - les plages de silence sur le vinyl ne laissent deviner ni pas de danse ni son d'aucune voix parole ou chant.
283. Presque toutes les fictions ne consistent qu'à faire croire d'une vieille rêverie qu'elle est de nouveau arrivée.
André MALRAUX Préface aux Liaisons dangereuses
00:29 | Lien permanent | Commentaires (0)